Chapitre 5: La seule trace restante

Cette nuit là Jin dormi seul dans la pièce qui servait autrefois à Rei de dortoir, ainsi qu’à Ryu et un ami humain du village voisin. Elle avait pour seul meuble un bureau proche de la porte d’entrée et de la fenêtre, avec une chaise en bois grossièrement taillée, le reste des lits présents (au nombre de 3) n’étaient en fait que plusieurs caisses vides en bois collées puis recouvertes de drap plus ou moins adaptés. Oron avait choisi de le laisser seul, se sentant responsable de ce qu’il lui était arrivé face aux villageois et au Gösian. Quant à Emilie, elle était tout simplement partie dormir ailleurs, chez des voisins. Rei était déjà en bas, dans la cuisine, à préparer le petit déjeuner tout en attendant la visite de l’homme encapuchonné.

Plus que 2 jours pour pouvoir voler de la nourriture, le temps que Banyan fasse le trajet du retour depuis le château du roi Aston. 

Jin dormait d’un sommeil léger, encore perturbé par ce qu’il avait vécu la veille : son dos le brûlait à chaque mouvement qu’il faisait pour se caler en une position plus confortable. Dans sa tête la voix n’était plus qu’un mauvais rêve. Il repensait à cet homme qui se cachait et parlait uniquement lorsqu’il était seul avec Rei, se demandait si il était un espion aux ordres de celui-ci, comment ils se sont connus, pourquoi son contact physique avait renforcé sa douleur, essayait de se souvenir où il avait pu voir ses yeux bleus pétillant et si triste la dernière fois…

-Jin ! Oron ! debout ! On remet ça ! et cette fois vous avez intérêt à rapporter quelque chose ! Sinon j’vous ferais bouffer vos langues en pot-au-feu !! 

Jin se leva en faisant attention à ses gestes, se tenant la tête négligemment comme pour la retenir de tomber et s’essuyer les yeux de son manque de sommeil, il ouvrit la porte et alla vers la passerelle sans cloison où devait dormir Oron : il était déjà réveillé et avait eu le temps de s’habiller, il descendit précautionneusement, guettant des paroles ou des bruits qui lui indiqueraient le retour de l’inconnu. Il y avait effectivement quelqu’un mais sa voix restait faible et atténuée par un tissu devant sa bouche.

-…préparent une attaque pour ce soir, mais on en sait pas plus : ni le lieu ni l’heure, soyez sur vos gardes, l’armée sera de la partie.

-ok ! j’leur dirai où faudra éviter de se faire voir tout à l’heure, si ils font comme il faut cette fois-ci il ne devrait pas y avoir de problème, répondit Rei avec un ton d’espoir plus que d’assurance

-comment va Jin depuis la dernière fois ? pas de signe inquiétant ?

La voix était encore plus basse, de toute évidence l’inconnu avait quelque chose à caché à son insu

-c’est ni le moment ni l’endroit pour en parler, mais son état m’inquiète, il semble être plus affecté par la marque d’Yggddrasill qu’Oron et toi, cette quête va le rendre fou si elle ne le tue pas avant ! répliqua Rei d’une voix rancunière.

 Ils se turent un instant, Jin hésita à descendre pour surprendre l’inconnu sans qu’il n’ait sa capuche, il bougea et entendit un « crack »

-c’est pas bien d’écouter aux portes …Jin, Oron était apparu derrière lui comme un fantôme au regard lubrique, l’inconnu avait dû dire quelque chose qui n’avait pas plu à Rei pendant ce temps : celui-ci proférait des insultes et menaces

-KYAAAAAA !

Il sursauta tellement loin qu’il roula dans l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée dans un grand « BLOM », il retomba sur le ventre la tête la 1ère, comme une crêpe.

Rei se tourna vers lui, un torchon sur l’épaule, l’inconnu à moitié décapuchonné à la main, celui-ci le maîtrisait pourtant de toute sa hauteur et tourna la tête vers Jin. Jin se releva le plus vite possible pour voir le visage de cet homme, mais il avait eu le temps de se dégager d’un revers de la main tout en réajustant sa capuche. Il se dirigea d’un pas vif vers la porte pour y disparaître l’instant d’après. Rei continuait de fixer l’entrée de la maison, comme s’il cherchait à retrouver la silhouette qu’il tenait fermement à porté de bras, avant de se tourner vers Jin et Oron, qui venait de descendre pour l’aider à se relever. Jin était comme hypnotisé par la porte d’entrée, il espérait que l’inconnu revienne. Rei cassa le silence gênant causé par ce brusque départ.

-vous deux ! J’peux savoir s’que vous faite à dévaler les escaliers comme ça depuis 2 jours ? Allez ! À table ! Et plus vite que ça !

-oui !

-euh mais Rei faut dire que les marches sont plutôt mal foutues alors …

-j’en ai rien à foutre ! 

-il voulait pourtant savoir pourquoi y’a même pas 2 secondes, pensèrent Jin et Oron avec un air septique

-aujourd’hui c’est votre dernière chance de rapporter plein de viande ici, demain Banyan sera revenu du château du roi Aston, mais apparemment il va falloir faire très attention où vous mettez les pieds : les villageois ont prétextés s’être fait attaqué par un démon accompagné d’un fétichiste pendant la nuit, l’info est remonté jusqu’aux oreilles de l’empereur du Nord de Nash : des soldats de l’armée impériale patrouillent dans les environs et en particuliers vers les habitations des villageois, mais pas dans les villages eux même : évitez d’aller chez Banyan, il risquerait de vous surprendre et après..

-compris..

-Oron, si un problème vous bloque quelque part tous les deux, revient m’en avertir, j’agirais en conséquence ! toi Jin, force pas trop ! Tu es encore un peu convalescent 

-oui oui oui… (mais comment j’fais pour revenir si on est justement bloqué ??) marmonna Oron

-Bon ! Allez y bandes de feignasse ! rhalala les jeunes de nos jours faut tout leur expliquer… 

Quelques instants plus tard, Jin et Oron étaient dans la forêt, marchant tranquillement dans une direction incertaine entre les arbres.

-si il veut de la viande pas trop dangereuse à choper on va devoir se farcir des tigre à dent de sabre, après tout c’est pas ça qui manque dans la forêt… ça et des slims… bouarf le slim c’est pas bon, même en salade...  commentait Oron, les bras croisés derrière la tête

-surtout que la seule source de viande du coin c’est la maison de Banyan…mais bon, il nous a interdit d’y aller

-me dit pas que t’as l’intention de suivre à la lettre ce que dit Rei, ce serait bien la 1ère fois, de toute façon c’est qu’un vieux fou haha

-mmmm mwé.. c’est vrai que ça fait longtemps qu’on a pas eu un vrai repas quand même

-si Aston et Dubois baissaient leurs taxes sur le même territoire les villageois serraient moins obtus et nous offriraient au moins la charité…un bon gigot miam

-Oron tu m’baves dessus..dit Jin en se poussant sur le côté, d’un air dégouté 

-bon c’est décidé ! reprit Oron, l’air conquérant

-quoi ?

-on va chez Banyan ! C’est pas l’armée impériale qui va nous avoir ! On est des pros dans notre job non ? 



Après avoir passé la surveillance rapprochée sur les sentiers avoisinant la maison de Banyan, ils entrèrent : personne, étrangement calme, vide, la hache du bucheron était restée planté dans le tronc à l’entrée de la porte. Au milieu de la cuisine un énorme chaudron noir sentait encore légèrement le brûlé.

-par là Jin ! Regarde ! Une échelle !

Oron le tirait vers le mur de droite, une trappe était ouverte et une échelle plongeait effectivement dans un garde-manger. Oron passa en premier.

-c’est bon tu peux descendre ! waou ! Dire que le vieux Banyan garde tout ça pour lui ! tu m’étonnes qu’il soit aussi gros ! C’est à se demander comment il fait pour pouvoir encore rentrer ici pour se nourrir !

-Oron… on devrait pas rester trop longtemps, c’est trop calme ici, c’est.. Pas normal…

-mais non, descend ! Tu va voir ya rien à craindre ! ha ! Quel morceau ! On en aurait pour nourrir tout le village ! Allez Jin ! Viens ! j’pourrais pas tout porter !

Jin finit par descendre, méfiant et inquiet, concentré sur les moindres sons qu’il pouvait entendre grâce à ses oreilles d’elfe. Quelqu’un était proche d’eux, il savait qu’il pourrait les piéger  à n’importe quel moment.

-Oron..

-quoi ?

-tu connais bien la maison ?

-euh.. ouais plus ou moins

-tu sais si il y a une autre sortie que la porte d’entrée ? demanda t il inquiet de plus en plus

Oron se tourna vers lui, observa les alentours, cherchait lui aussi un bruit qui leur signifiait un danger, puis se rapprocha de Jin. Au même instant un grand craquement de parquet retenti dans la maison, Jin apeuré se cramponnait à Oron, le souffle court.

-un humain est ici Oron ! Comment on va faire pour sortir ! lui souffla t-il

-calme. Je vais sortir en premier, si tu ne me vois pas revenir, cache toi et attends que l’intrus parte, surtout ne me suis pas, même si tu entends des cris d’accord ? Oron le regardait dans l’obscurité, Jin ne voyait pas ses yeux, mais acquiesça sans un mot. Il sortit par l’échelle, les grincements des lattes retentirent à divers endroits, Oron se déplaçait, il l’entendit franchir la porte quand soudain il se fit attaqué plusieurs fois, il résistait, s’étant transformé en ours pour se battre, Jin était pétrifié. La bataille tourna court, les grognements d’Oron se dissipèrent aussi vite qu’ils étaient venu, et Jin, mal à l’aise dans cet endroit clos et obscur rempli de morceaux de viandes séchés et fraîches, décida de quitter le garde manger.

-Oron !! Oron réponds moi !!

Il sorti de la maison, eu tout juste le temps de voir Oron saucissonné dans des cordages et adossé à un tronc d’arbre, du sang sur le côté du front, qu’il reçu un violent coup derrière la tête et s’évanouît.



Quelques heures passèrent avant que Jin ne réussisse à rouvrir les yeux. La vision trouble, il essayait de se relever avec ses bras, impossible, il força son corps à bouger mais ne fit que rouler un peu plus sur le côté, ses jambes ne le retenant pas. Enervé par cette paralysie il essaya de se relever par un grand coup d’épaule dans le vide et atterrit sur le dos, sa blessure se rouvrit.

-hh !!k…

Il essaya de concentrer sa vision, celle-ci redevint petit à petit plus nette : il était ligoté par les jambes et les bras par une corde fine mais robustement attachée. Oron, à sa droite, fixait un point droit devant lui avec une impression de haine profonde. Jin tourna la tête, Banyan était là devant eux, assis et occupé à couper son bois.

-te voilà enfin réveillé gamin ? lança t’il d’une voix sonore, son accent paysan ressortait à travers sa barbe volumineuse.

Oron lança un regard inquiet à Jin, le temps de tourner la tête il soupira de soulagement. De toute évidence il s’était préparé à l’éventualité que sa blessure ait été plus grave. En l’observant un peu plus, Jin s’aperçut qu’Oron avait des blessures pansées qu’il n’avait pas avant leur entrée dans la maison.

-t’as de la chance que le p’tit soit en vie vieillard !! Encore 5 minutes comme ça et j’t’aurais mis en charpie ! Menaça Oron alors qu’il était ligoté lui-même

-que de vaillance, je deviens le fautif alors que vous vous êtes infiltrés chez moi ? Je suis en règle, ceux qui s’approchent d’ici pour voler doivent être punis. Remarquez que vous vous en tirez plutôt bien, les précédents n’ont pas eu cette chance…

-qu’est ce que vous nous voulez au juste ? Vous avez dit aux soldats qu’il n’y avait personne quand ils sont passés vous inspecter tout à l’heure…

-je n’ai pas menti, une personne qualifie un humain, vous n’en êtes pas, j’me trompe ?

Oron et Jin retinrent leur souffle, s’attendant à être insultés et battus comme l’auraient voulu les villageois de la forêt. Banyan lâcha sa hache et se leva, il était grand, musclé et large comme un arbre, il fit quelque pas vers une boite à côté d’Oron, le regarda, inspecta son t-shirt.

-humhum… ça, c’est à moi gamin, et ça aura mauvais goût si tu le garde contre ta peau directement, je ne pourrais plus m’en servir pour mon ragout, il hésita, garde le, je ne tiens pas à m’empoisonner en la reprenant.

Il la remit devant Oron. Celui-ci lui lança un regard noir, essayant de l’endormir, mais le vieux bucheron ne lui prêta pas plus d’attention que ça et reparti vers Jin. Hébété, Oron douta de sa conviction à ramener la viande chez Rei, la voler pour au final l’obtenir sans peine ne l’intéressait pas, ce que son ventre n’approuvait pas : il était affamé. Le vieux bucheron arriva vers Jin, qui, effrayé, recula en s’aidant de ses jambes, mais le mur de la façade de la maison était trop proche de lui pour qu’il n’aille plus loin, il essaya de se protéger de ses épaules en voyant les grosses mains de Banyan passer devant lui.

-et toi, tu ne parles pas ? rhalala… dans quelles conditions vous fait vivre Rei… il n’a toujours pas apprit l’organisation et la responsabilité à s’que j’vois… si ça avait été le cas il sera venu seul voler cette carne, mais il a peur de son passé, romança t’il d’une voix lasse. Jin essaya de lui lancer un regard noir lui aussi, mais la peur restait présente, il tremblait. Oron s’en aperçu.

- libère-moi ! il est en train de faire une crise !

-hum ?, Banyan retourna vers sa marmite et commença à faire bouillir de l’eau avec le bois qu’il venait de couper, en te libérant tu va sans doute t’enfuir non ?

-si vous ne le faites pas je vais sans doute pas vous rater en me changeant en ours…, un coup de griffe et hop, plus de corde !

-décidément…

Le vieux bucheron se releva et enleva les cordes qui emprisonnaient Oron, lui-même interloqué que son bourreau n’ait pas résisté plus. Oron s’approcha de Jin, le prit par les épaules. Il s’avait que pour le raisonner il fallait lui rappeler qui lui parlait afin de le sortir de sa psychose.

-Jin, répond moi, c’est moi Oron, ne t’inquiète pas, quand il retournera à sa marmite j’irais chercher Rei et les autres, on va revenir te chercher, d’ici là je te demande juste de te contenir encore un peu…chuchota Oron à l’oreille de Jin pour éviter d’être entendu

-c’est un humain, Rei dit qu’il est dangereux, il ne devrait pas être là ! il aurait dû revenir dans 2 jours…

-Jin… tient le coup, j’te jure de ne pas être long, ça va aller d’accord ?

-…oui, finit par accepter Jin désespéré

Oron se releva, rangea la viande dans son t-shirt, se retourna, rapidement se changea en ours et fonça sur Banyan qui reçu le coup de plein fouet et tomba à la renverse : le temps qu’il se relève Oron avait déjà disparu en courant vers le village magique à la recherche de renfort. Banyan se releva et soigna sa blessure, le regard tranquille. Jin était maintenant intrigué et le fixait sans relâche.

- dis-moi gamin, tu connais Rei, toujours fanfaron, non ?

-…

-je prends ça pour un oui, j’me doute qu’il a dû te raconter pas mal de choses à mon sujet, mais il ne t’as pas tout dit.

-comment ?

Banyan retourna à sa marmite et découpa quelques légumes pour préparer sa soupe.

-tu n’as pas faim ?, il lui adressa un regard interrogateur en lui montrant une patate.

Jin hésitait : il était vraiment affamé, mais par orgueil et méfiance il refusait de se nourrir.

-je ne me ferais pas avoir par de la nourriture lança t-il d’un air énervé

-tient donc, tu es le 2ème à me dire ça en 20 ans…le dernier était un gamin dragon… c’était le meilleur ami de Rei, enfin, après s’que j’en sais de leur relation hein… enfin bref, ce gamin était assis là, comme toi, et me regardait avec un air de défi. Un descendant des dragons…et dire que Rei ne l’avait même pas remarqué. L’autre gamin humain qui les accompagnait était né au village de Dubois, un chouette gosse, il avait proposé à Rei une amitié et une confiance qu’il n’avait jamais eu avec personne depuis son arrivée ici. Le gamin dragon dont j’te parle avait les yeux bleus, il était plutôt grand pour son âge, peut être 15 ans, pas plus…

Jin commença à être attentif à l’histoire du vieux bucheron, des yeux bleus, encore un dragon, il s’agissait peut être de son père.

-J’ai lancé un défi à ces 3 inséparables, ils devaient aller tuer le monstre qui dévorait les enfants du village, mais sans l’aide de ce môme draconique, sinon ça aurait été trop facile. J’ai donc gardé le gamin, je lui ai proposé de la soupe, comme à toi, et il l’a refusée, lui non plus ne me faisait pas confiance. Il a réussit à s’éclipser alors que je m’étais enfin décidé à le libérer parce qu’il était devenu sage. Il est parti après avoir jeté mon bol par terre, bizarrement il semblait regretter son geste à travers sa tristesse et sa colère. Maintenant je crois que ce gamin avait senti qu’un truc allait clocher avant même que Rei et le gosse humain aillent battre ce monstre. Le lendemain tout le village le savait : Rei était revenu sauf, le monstre vaincu, mais son meilleur ami villageois était mort dévoré. Il avait une mine affreuse. Malgré sa tristesse les villageois ne lui ont pas pardonné, les familles l’ont traité de monstre, lui qui était à moitié humain. Sa tristesse envers son ami humain s’est transformée en haine envers les villageois qui étaient tant différent de sa 1ère impression. Puis Rei a créé le village magique, afin de recueillir tous les Etre qui ne pouvaient pas vivre en communauté avec les espèces de bases. C’est étonnant qu’il vous laisse reproduire le même schéma alors qu’il souhaitait plus que tout au monde qu’une 2ème tragédie ne se reproduise pas.

-il ne nous a pas autorisés…

Pour la 1ère fois Jin répondait au bucheron, ces révélations lui avait permit d’y voir plus clair sur Rei, sur le conflit actuel des humains et des demi-sangs de cette forêt.

-tu veux dire que vous avez agi de votre propre chef ?

-non plus.. on a à moitié suivit les ordres de Rei, il voulait que l’on vol de la nourriture, on ne peut pas vivre sans mais le village ne nous accepte plus du tout, même si on leur propose d’acheter, ils ne veulent rien entendre…

-tu es sûr de ne pas vouloir de soupe ?

Jin détourna le regard et essaya de se concentrer sur autre chose que de la nourriture, espérant qu’Oron arriverait bientôt.

-tu lui ressemble vraiment à ce gosse tu sais ? Ne serait ce qu’au niveau des yeux et du caractère…

Jin préféra taire ses origines, il savait que sa peau valait une fortune pour qui serait capable de le dépecer après qu’il se soit transformé. Soudain il eu une idée : après tout, dans la possibilité que ce soit bien son père qu’il ait rencontré tant d’années plus tôt et que déjà à cette époque il travaillait en tant que bucheron pour le roi… il devait avoir rencontré sa mère dans le château au moins une fois ! Il hésita à commencer le dialogue, l’image des enfants humains le maltraitant était toujours présente, et Banyan était fort, très fort. Mais d’un autre côté, si il lui avait vraiment voulu du mal il l’aurait tué depuis qu’il était sorti de la maison, ainsi qu’Oron, si il voulait vraiment le tuer, il ne lui proposerait pas de manger une soupe ni ne lui aurait raconté cette histoire sur Rei. Jin essaya de se mettre en boule, malgré ses bras attaché derrière son dos, il regarda son t-shirt furtivement, le collier royal était caché sous celui-ci, si Banyan se mettait à le détacher il ne le verrait pas.

-tu ne parle vraiment pas hein ? j’te fais peur peut être ?

Jin sorti de ses pensées

-je… vous .. travaillez depuis longtemps chez le roi Aston ?

Banyan s’arrêta net et le dévisagea.

-comment se fait il que tu le connaisses au point d’avoir son prénom ? Un simple sauvageon tel que toi ne devrait même pas savoir de qui tu es en train de parler !

-…, Jin détourna le regard, confus de son manque de savoir vivre

-je travaille chez lui depuis assez longtemps oui, je travaillais déjà chez lui depuis une bonne 10ène d’années quand j’ai rencontré ce dragon aux yeux bleus

-vous avez rencontrez sa fille ?

- de laquelle parles-tu ? Sa fille actuelle ou celle d’y a 20 ans ?

-celle d’il y a 20 ans

-mmmmm la petite Nina, sacrée gamine, elle cherchait toujours à s’enfuir du château en racontant aux gardes qu’elle allait cueillir des fruits dans la forêt. Si tu veux mon avis elle cherchait sans doute à s’échapper de l’ambiance qui régnait au château depuis la mort de sa mère. Le roi Aston ne dirigeait qu’à moitié la région, le pouvoir est toujours à la femme dans cette dynastie. Rei ne t’as rien raconté à propos d’elle ?

-…pas grand-chose je suppose…

-elle était très attaché à ce dragon, et sacrément jolie ! Ses ailes avaient une couleur admirable, mais son caractère… elle était trop déterminée pour avoir une vie paisible. Si elle ne s’était pas opposée à son père lorsqu’il a refusé qu’elle se marie avec ce dragon elle serait aujourd’hui la reine de Vaure. L’amour triomphe toujours comme on dit, on ne l’a pas revu depuis un bonnnnn bout de temps, il parait qu’elle a donnée naissance à des jumeaux et que la princesse actuelle serait sa descendante directe, le 2nd n’ayant pas survécu au voyage.

Bingo, le dragon en question était vraiment son père, et il en savait plus sur sa mère. La joie amenée par cette bonne nouvelle s’arrêta net lorsqu’il réalisa que son grand père maternel avait dit à ses employés, même les plus éloignés, qu’il était mort pour justifier la succession de Tila. Il s’en tirait sans problème en mentant à tous : personne ne reviendrait sur ce qu’il leur avait annoncé parce qu’il est le roi, il ne s’entachait pas de son comportement envers lui lorsqu’il dû choisir qui devrait lui succéder le jour de leur arrivée : le choix fût rapide entre des ailes dépareillées et des ailes blanches à plume. Il commença à pleurer. Quand Oron allait il revenir ? 

-gamin, si tu es heureux suite à cette histoire pourquoi pleures tu ? Tu as mal quelque part ?

En silence, Banyan s’avança vers Jin, s’accroupie pour être à sa hauteur, mais même ainsi il le dominait par sa masse musculaire. Jin eu le reflexe de se reprotéger de ses épaules malgré ses sanglots.

-toi gamin, t’as dû vivre pas mal de truc pas chouette dans ton enfance pour avoir autant peur d’un simple humain qui cherche à te détacher, s’étonna Banyan tout en cherchant les bouts de la corde. Une fois défaite il se pencha devant le visage de Jin qui par réflexe avait fermé les yeux pour qu’il ne découvre pas le signe de sa descendance draconique. Banyan sourit et reparti vers sa marmite, remplit un bol de soupe et revenu avec, une fois accroupie à nouveau il tendit le bras vers Jin pour qu’il le prenne.

-mange, tu n’as que la peau sur les os ! lui ordonna-t-il d’une voix sévère

Jin baissa la tête et frappa le bol violemment de son bras droit, ce qui le fit voler plusieurs mètres sur le côté en le renversant, avant de se recroqueviller sur lui-même, s’attendant à être frappé. Il tremblait, n’en pouvait plus. Désespéré, il appelait Oron dans sa tête et murmurait des mots inaudibles. Banyan reparti, reprit un bol et le rempli aussi, il le posa sur le rebord de sa fenêtre, reprit encore un autre, le rempli et revenu vers Jin une nouvelle fois, lui reproposa en tendant le bras quelques instants. Aucune réaction, Jin mimait un non de la tête. Banyan soupira et posa le bol à côté de Jin.

-mange quand tu en auras envie, vu ta morphologie tu devrais manger plus gamin, c’est mauvais pour ta croissance, il commença à boire sa soupe puis continua, si j’étais Rei, j’me débrouillerais pour que ceux auxquels je tiens ne manquent de rien, mais en m’en chargent vraiment moi-même, pas en attendant que vous les mioches vous vous trouviez à manger, en volant en plus.

Jin tourna la tête vers le bol, il était vraiment affamé, il le saisie et commença a boire, cette soupe était bien faite, très différente de celle de Rei : cette fois les morceaux de légumes n’étaient pas visibles et l’eau avait la texture d’un velouté bien mélangé, de plus elle était chaude. Il ne savait plus quoi penser, Rei avait décrit Banyan comme le pire des hommes après le roi Aston, mais il semblait généreux à ses yeux : il ne se préoccupait pas tant que ça de sa nature inhumaine et allait même jusqu’à le nourrir, il ne savait pas si il devait lui faire confiance ou non. Rei n’avait pas tout dit, il avait caché cette partie de sa vie, sans doute parce qu’il en a encore honte, ou qu’il n’arrive pas à se pardonner et renvoi la faute sur quiconque a engendré la mort de son ami d’enfance. Il regarda de loin Banyan, qui lui tournait le dos, en se demandant si c’était ça la sensation de chaleur d’avoir un foyer et une famille. Un inconnu s’inquiétait pour sa survie, un humain en plus. Le 1er qui lui ait fait signe, même sa mère ne lui répondait pas. Cette sensation nouvelle le gêna un peu plus : comment pouvait-il se sentir mieux ici qu’avec des Etres partageant le même problème de naissance mixte ? Comment osait-il prétendre pouvoir se fondre dans l’univers d’un humain, lui, le monstre ? Il avait fini sa soupe, reposant le bol sur le côté.

-… merci, dit timidement Jin, la tête à moitié caché sous ses bras.

Banyan tourna la tête et fit un signe de la main signifiant que ce n’était rien.


Oron était arrivé chez Rei et sonna l’alarme générale après avoir reprit sa forme humaine.

-Rei ! Rei ! On s’est fait avoir !! Jin est en danger !! dit-il en posant la viande sur la table

-comment ?? Par qui ?

-on… on est allé chez Banyan, on ressortant du garde manger, il nous a tendu un piège, je lui avais interdit de sortir même si il entendait du bruit mais…

-pauvre inconscient !! Vous ne m’avez donc pas écoutez ??? Et si ce fou furieux vous aviez tués sur le coup ? Tu y a pensé à ça ?? Qu’est ce qui vous a prit de désobéir ?? Vous ne m’écouterez donc jamais ? hurla Rei sur Oron puis à l’égard des autres habitants : vous tous ! Que les plus âgés gardent les plus jeunes ! Je vais chercher Jin, Oron tu viens avec moi ! Cette fois-ci il ne va pas s’en tirer si facilement, cracha-t-il d’un air méprisant et enragé. Oron ne l’avait jamais vu dans cet état de haine profonde.

-ce qui s’est passé entre Banyan et lui a dû être très douloureux pour qu’il réagisse ainsi, pensa Oron

-Il m’a déjà eu une fois… il n’aura pas Jin cette fois ci ! je l’en empêcherai !! Grinça-t-il entre ses crocs tout en avançant d’un pas déterminé : il choisit ses coutelas les plus tranchants, une réserve de pics et s’en équipa à la ceinture avant de sortir d’un pas fluide et rapide, accentué par son apparence féline.


Banyan avait fini par détacher complètement Jin, mais celui-ci était encore trop intimidé et sonné pour tenter une quelconque évasion : il restait assis, observant autour de lui le moindre signe d’arrivée de renfort. Il entendit un bruissement de feuilles dans un arbre proche, leva la tête, quelques feuilles en tombaient mais il ne voyait pas à travers les branchages. Apparemment Banyan n’avait rien remarqué. À nouveau le silence s’installa, Jin fixait son regard sur les arbres, cherchant le moindre indice lui indiquant qu’il n’avait pas rêvé. Rien. Il baissa la tête et soupira. Soudain, dans un grand fracas, une ombre souple s’abattit sur le sol devant Banyan et l’attrapa au col avec force, la silhouette s’immobilisa avec le corps à bout de bras au dessus du sol, de profil. Jin imagina le regard enragé qu’il aurait pu avoir avec une telle précision.

-essaie encore de t’approcher de lui une fois et j’te brise le cou sale type !! Menaça l’encapuchonné d’une voix très basse qui laissait paraître de la colère

-toi ?? mais.. comment ce fait il que.. ?

Il projeta Banyan contre un arbre et sortit un sabre long que Jin reconnut : d’après le fourreau qu’il portait à la taille c’était son Léviathan, une arme inutilisable pour un Etre n’appartenant ni à la race elfique ni à la draconique, l’arme créé en l’honneur de la 1ère impératrice des dragons : Ezeth. L’inconnu menaçait maintenant Banyan de son sabre.

-encore un mot et tu auras toute l’éternité pour réfléchir, continua-t-il froidement de sa voix calme

Jin, choqué par une telle colère de sa part se leva précipitamment et essaya de pousser cet homme. Banyan malgré son agression envers lui l’avait secouru par la suite, il n’avait pas cherché à lui faire du mal, il ne méritait pas de mourir.

L’inconnu tourna la tête vers lui, un instant Jin vit dans ses yeux la rage qui l’animait pour le protéger et recula, autant surpris par la brûlure de leur contact que terrifié à l’idée de recroiser ses yeux bleus. L’encapuchonné s’en aperçu, sa concentration était maintenant sur Jin, son regard avait changé, devenu tristement mélancolique, hésitant à se rapprocher de lui pour le raisonner. Jin le regardait hésiter : de quoi avait-il peur ?

-je t’observe depuis tout à l’heure tu sais ? tu aurais très bien pu t’enfuir, mais tu ne l’as pas fait…, son intonation était plus proche du sermon que de la compassion, il fixait Jin sous sa capuche et commença à s’avancer doucement vers lui avant de reprendre : Rei m’a demandé de te surveiller, il a l’air de bien te connaître, il s’accroupit et tenta de poser ses mains sur les épaules de Jin avant de se reprendre et de poser ses bras sur ses propres genoux : ton père s’inquiète énormément pour toi, tu devrais faire plus attention à la valeur de ta vie… Jinon

Jin releva la tête à cette appellation, même Rei ne l’avait plus appelé comme ça depuis ses 4 ans, il recroisa le regard de l’inconnu, cette fois-ci il semblait plaintif, comme si il souffrait à l’idée qu’il aurait pu lui arriver quelque chose, ce qui ne correspondait pas à son discours. Il était attiré par lui, une grande force les liait, mais il sentait aussi qu’il ne pouvait pas s’en approcher sans se brûler. Il ne savait pas quoi répondre, sa peur des Humains l’avait énormément bloqué, sa peur de dévoiler son apparence et son identité aussi. L’inconnu se releva rapidement, comme s’il venait de s’apercevoir de quelque chose, il plaqua sa main sur sa bouche.

-Rei a dû lui interdire de m’appeler comme ça, pensa Jin

Il se retourna brusquement, marcha vers Banyan, se tourna vers lui, observant ses réactions, il avait encore du mal à se remettre du choc contre l’arbre, la blessure que lui avait infligé Oron avait de partir s’était rouverte. L’inconnu hésita en le regardant.

-Il… il ne voulait pas nous faire de mal, il a juste voulu défendre ses possessions, c’est nous qui sommes en tord…

L’inconnu sembla réagir à cette phrase, il tourna la tête vers Jin, l’air étonné et regarda a nouveau Banyan.

-on aurait pas dû venir ici, on a désobéit à Rei… c’est pas juste, alors qu’il nous a soigné et même nourri il risque de…

L’inconnu se pencha au dessus de Banyan, marmonna une formule inaudible et de ses mains jaillirent une lumière verte et jaune, les blessures de Banyan disparurent et il se réveilla encore un peu sonné, l’inconnu le regardant de haut.

Jin n’en croyait pas ses yeux, il l’avait guéri.

-si en suivant ta bonne foi cet homme serait malgré tout criminel je ne suis pas responsable de ce qu’il se passera, c’est clair ? lança t’il a Jin d’une voix enjouée et sérieuse

-euh.. oui

-comment vont tes blessures depuis la dernière fois ?

L’inconnu était maintenant joyeux mais encore intimidé

-ça peut aller, mentit Jin

-bien maintenant, on rentre au…, il s’interrompit et écouta les alentours, l’armée… l’armée impériale est dans l’coin, ça bouge autour de nous…, reprit il sérieusement: sa vue et son ouïe semblaient le transporter complètement ailleurs. Il se précipita pour attraper le bras de Jin et le tirer pour le faire avancer, Jin trébucha et perdit l’équilibre. Rei et Oron apparurent devant eux, un instant plus tard l’inconnu avait disparu dans les arbres et Jin était porté bestialement par le col entre les crocs de Rei, lui-même grognant contre Banyan. Rei lui envoya quelques piques dans les bras et les jambes. Ils repartirent sur le champ, Jin sur le dos d’Oron. Considérant qu’ils étaient suffisamment éloignés pour reposer Jin, Rei ralentit le pas et se tourna vers eux.

-vous avez vraiment mis vos vies en danger aujourd’hui, bande d’inconscients ! Vous n’imaginez même pas à quel point ce taré est capable d’atrocité ! Jin ! qu’est ce qu’il t’a fait ? tu ne vas quand même pas croire ce fou non ??

-je… mais… il m’a juste offert de la soupe et m’a parlé de… toi et 2 autres qu’il avait aussi piégé il y a 20 ans… c’était un accident…

-non, il avait tout prévu ! si cet enfoiré de noble n’avait pas été là… si il ne nous avait pas piégé comme aujourd’hui, si seulement j’avais pu...gggrGRGRRRRAOR tu ne comprend donc pas qu’il a essayé de t’amadouer pour te manipuler et t’envoyer à l’abattoir comme cet humain et moi ??? Jin ! Tant que je serais ton père et que je serais en vie je t’interdirais de mettre les pieds là bas ! Il est hors de question que tu subisses le même sort !! 

Jin n’avait jamais vu Rei dans un tel état de fureur, il en devenait violent. Oron intervint.

-Rei, on.. on s’en est sorti, ça va aller, c’est juste une erreur, on se reprendra demain ok ?

-il aurait mieux valu ne jamais faire cette erreur Oron, maintenant qu’il vous connaît cette forêt n’est plus un lieu sûr, Banyan est en lien direct avec le roi ! le roi dirige le peuple mais aussi les assassins et la garde royale ! si notre planque est encore sûre d’ici ce soir on aura de la chance !

-ils mourront avant de réussir à entrer dans le village Rei ! L’illusion continue tant qu’on y croit…

Rei se tourna vers Jin, l’air toujours autant bestial, il réémit un grognement sourd, sa marche se faisait plus rapide, il s’arrêta un instant et huma l’air avant de courir vers le village qui était encore loin, Oron et Jin le suivaient à la trace et se retrouvèrent bloqués par des soldats de l’armée impériale qui surveillaient les environs devant eux. Ils se cachèrent derrière les arbres, y grimpèrent et les observèrent. Oron fit un signe de tête à Jin avec un air déterminé, Jin lui répondit non et essaya de l’empêcher de descendre en vain : les arbres étaient trop espacés. Oron servait d’appât pour que Jin puisse rentrer sans encombre au village magique. Peu après il disparu pourchassé par les soldats armés.

-garde ! Ne le laissez pas s’échapper ! C’est l’un des suspects du roi Aston !

Jin attendit que ça se calme avant de descendre, il se dirigea vers l’entrée du village, continuant de chercher à tâtons quelle partie menait au ravin avec l’air agacé

- ouvre-toi ! Allez ouvre toi ! S’énerva t’il en marmonnant

Le village apparut, Rei dans l’espace central en train de se battre avec quelques assaillants qui avaient réussi à entrer. Après les avoir tués, il se retourna face à Jin.

-tu vois ce que ça donne de faire confiance à un humain ? Regarde attentivement Jin ! ça ne serait pas arrivé si vous n’y étiez pas resté coincés ! Banyan nous a dénoncés à l’armée et on va tous y passer si on ne peut pas reconstruire un autre village magique ailleurs ! Tout ça part votre faute !

Jin regardait en même temps l’allure du village : il était à moitié en ruine, les habitations déjà peu solides s’étaient écroulées sur elles mêmes, seule la maison du chef tenait encore debout, Jin y rentra pour chercher son sabre : il était toujours là, il monta à l’étage pour vérifier que l’espace était sans danger, il regarda à sa fenêtre de chambre, Rei n’était plus là. 


Il redescendit et sortit du village en prenant soin de vérifier que la voie était libre : Oron avait attiré tout le monde. Il le pista sur un sentier voisin, jusqu’à arriver au niveau d’une cabane en bois proche du fleuve séparant la forêt du château du roi Aston : l’eau avait été en partie détournée pour le bassin de sa coure. Il se rapprocha de la rive, l’eau était claire. Il marcha jusqu’à la maison, regarda par la fenêtre improvisée, sans doute construite à la main par un enfant. Crack.

-quelqu’un approche ! pensa Jin

Il grimpa à l’arbre le plus proche pour s’y cacher, un animal sortit de la forêt, il se retourna et vit un tigre à dent de sabre. Quelques gardes impériaux passèrent plus loin vers le pont du château, Jin ferma les yeux et s’agrippa plus solidement au tronc, il monta un peu plus haut et s’arrêta.

-pourvu qu’ils ne viennent pas par ici, souhaita-t-il

Les 2 gardes avançaient d’un pas non assuré en regardant sans conviction autour d’eux

-j’t’avais dis que c’était une bestiole ! y’en a vraiment partout ici ! C’est sûr que chez nous on risque pas d’en trouver hahaha

-c’est à croire que l’horizon du Nord n’est pas assez fleuri… hey ! fait gaffe ! ya aussi des tigres par ici, l’armée du roi nous a prévenus qu’elle n’agirait pas si on se mettait nous même en danger tant que ça ne concerne pas leurs intérêts communs

-cette bande de paysan se croit plus puissante que l’empire du Nord ? Quels ingrats, dire qu’on vient ici pour les aider…

-marche droit imbécile !

Ils repartirent un peu plus loin sans voir Jin.

-alors l’armée impériale et l’armée royale ne sont pas associées entre elles ? S’étonna Jin en pensée. Le silence revint, il restait malgré tout accroché à son arbre et tenta de se déplacer par ce biais : les arbres étaient encore proche ici, si il s’approchait trop près du château, les gardes faisant leur ronde autour des remparts risquaient de le voir. Il réussi à atteindre une branche suffisamment robuste pour qu’il puisse tenir assis ou debout dessus sans glisser, son poids l’aidant à ne pas la casser. Il s’installa et observa les alentours, cherchant un indice lui révélant où se trouvait Oron mais admirant aussi le paysage.


Pendant ce temps, au château de Vaure.

-princesse ! avez-vous été informée ?

Tila ne bougea pas, elle restait assise sur son lit à contempler son pendentif, les lettres de Nina sur sa table de chevet et à côté d’elle sur son lit. Sa servante personnelle s’approcha timidement, les portes de la chambre se fermèrent derrière elle. Tila se retourna, la regarda un instant de ses grands yeux verts peu marqué du signe des dragons, ses ailes n’étaient pas rabattues et brillaient d’un étrange éclat rose-orangé à la lumière, bien que ses plumes soient blanches. Sa peau brune brillait d’un éclat solaire aux rayons du soleil, signe de son hérédité elfique et draconique venant de son père.

-qui ya t’il Lise ? grand père aurait il décidé d’agir sur les provinces internes à la forêt ? elle parait si irréelle d’ici…cela fait bien longtemps que je n’y suis pas allée…, Tila avait le regard perdu à l’horizon

-allons mademoiselle, il s’agit de quelque chose de bien plus grave, Monseigneur Aston a déclaré que la chasse aux renégats était lancée, il compte éradiquer les habitants du village magique et s’appuie sur l’aide de l’armée impériale pour y parvenir ! il a toujours à l’idée de pouvoir vendre la peau d’un dragon par cette occasion ! annonça Lise, la femme de compagnie de Tila, avec détresse

-que dis tu ? c’est impossible ! ce village ne peut pas être pénétré par de simples humains ! répliquant Tila avec violence en se levant

-c’est pourtant la vérité mademoiselle, les soldats sont partout ! ils patrouillent depuis ce matin, ils auraient déjà aperçu un jeune homme d’environ 2m ayant la peau brune et des cheveux roux rôder autour du château il y a peu, les troupes s’activent dans la forêt pour trouver le démon aux cheveux vert et aux yeux vairons

-non… c’est impossible…, Tila semblait maintenant croire sa femme de compagnie

-qu’allez vous faire ?vous ne pouvez pas laisser monseigneur agir ainsi ! implora Lise d’une voix étranglée

Tila se tut un instant, s’approcha de la fenêtre et contempla la forêt paraissant si proche et si lointaine à la fois, un mirage vue uniquement par les habitants de la partie sud de la ville et du Fort, eux même prit pour des fous par les habitants vivants à l’autre extrémité. Elle était pourtant bien là cette forêt. Résignée elle reprit la parole.

-je ne pourrais pas m’opposer à son choix…

-mais !.. princesse ! il s’agit de…

-je sais bien quelle est l’importance de cet acte ! mais… grand père n’écoutera jamais, tout comme pour mère, il ne cherchera même pas à comprendre. En tant que princesse je suis en mesure de diriger l’armée et le royaume entier en ayant plus de pouvoir que le roi, pourtant… si ce démon est bel et bien mon frère que je croyais mort depuis toutes ces années… je ne sais pas comment réagir, est ce que je dois me contenter de savoir qu’il est vivant ? ou au contraire pleurer sa prochaine dépouille servant à agrandir les richesses de ce pays pourri jusqu’à l’os ??

-princesse…

Lise regardait Tila en larmes devant sa fenêtre, la princesse pria Yggddrasill un court instant et chanta la berceuse que sa mère lui avait apprise étant enfant. Sa voix claire et juste s’éleva dans la forêt comme un chant d’oiseau, Jin le reconnut. Il l’avait entendu il y a très longtemps, mais il en connaissait encore l’air. il se rapprocha de l’endroit d’où provenait la mélodie, chanta à son tour et leva les yeux. Il rencontra ceux de Tila, et, aussi surpris l’un que l’autre, ils se turent au même moment en se figeant. Jin revoyait sa sœur jumelle pour la 1ère fois depuis 10 ans draconiques.

-par ici ! j’ai entendu une voix ! ça venait des arbres !

Les gardes arrivaient en petit groupe autour du lieu où se trouvait Jin, l’un deux entreprit de monter à l’arbre. Jin sortit de sa rêverie et se reconcentra sur le sol, voyant qu’ils étaient armés il décida de descendre se battre pour en finir. Il sorti son sabre et se mit en garde, le regard concentré sur sa cible. Il semblait tellement absorbé par l’influence du Léviathan qu’il n’entendit pas le dernier soldat arriver derrière lui. Il s’avança d’un pas rapide et souple, comme l’avait éduqué Rei, et assigna un coup puissant et précis à l’un des soldats qui tomba sur le sol dans un râle de souffrance.

Il enchaina les autres soldats de coups plus ou moins dangereux, faisant bien attention à les laisser en vie. Le dernier soldat se rapprocha un peu plus, Jin eut à peine le temps de ranger son sabre  et de reculer de 2 pas qu’un bras le coinça au niveau des épaules avec un tissu imbibé de somnifère, ce qui ne lui fit pas d’effet direct… Jin se débattit, essayant de lutter contre le sommeil : il se retourna, utilisa un sort de feu contre son assaillant, ce qui l’affaiblit autant que lui. L’homme lui lança une poudre dans les yeux, il esquiva reçu, un nouveau coup mais épuisé par ses attaques, ses blessures et sa magie totalement contraire à son élément, il céda au sommeil et s’écroula sur le sol.


Du côté de Banyan :

-merci de votre coopération, voici pour vous, nous en toucherons 2 mots à notre empereur et à votre roi.

-c’est la moindre des choses, répondit Banyan d’un regard vide de sentiment.



Jin se réveilla ligoté dans une charrette, il était déjà loin de la forêt, il se sentait comme arraché à quelque chose de puissant qui vivait à l’intérieur de lui. Il essaya de se relever, il vit la forêt, verte et somptueuse. Elle s’embrasa d’un seul coup, il vît Emilie et Tila essayer d’en sortir pour survivre, elles se firent tuer par des silhouette les poursuivants, Oron se débâtait mais était déjà enflammé, il mourut carbonisé, Rei n’arrivait pas à fuir non plus, le feu ravageait tout sur son passage.

-NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!! GRANDE SŒUR ! EMILIE ! ORON ! REI !! Yggddrasill ! Pourquoi ne les as-tu pas protégés ?? Tu disais que tu voulais la paix !..., Jin hurlait de douleur, il pleurait, quelque chose avait changé en lui, quelque chose s’était brisé, un sentiment étrange de vide, de besoin de retourner dans cet espace dans lequel il avait vécu, reclus du monde, avec ses principes, ses coutumes. Il regarda une nouvelle fois, la forêt avait disparu, comme si elle n’avait jamais existé.

-un… rêve ?... , Jin sanglotait : il ne savait plus quoi croire, non un rêve n’est pas aussi douloureux…

- remettez-lui une dose ! Le somnifère ne fait plus effet !

-on ne peut pas ! Rien que ça lui donne déjà des hallucinations ! Il est plus atteint que nous : croire que cette plaine est coupée par une forêt c’est déjà fort ! On voit bien du haut de la cour du Nord qu’il n’y a rien !

-il a appelé plusieurs personnes, vous croyez qu’elles existent ?

Jin se tourna vers les soldats, l’air enragé

-vous.. Si vous n’aviez pas été là… ils seraient encore en vie ! Et la forêt serait toujours à cet endroit !!

-mais de quoi parle t-il ? Il n’y a jamais eu de forêt ! Ce n’est qu’une illusion imbécile de sauvage !

Jin mordit le soldat le plus proche qui venait de l’insulter, celui-ci lui jeta de la poudre dans les yeux qui le brûlèrent tant qu’il avait l’impression de voir de plus en plus mal, dans un hurlement de douleur il perdit la vue.


Bien plus tard, à la cour du Nord :

-général ! La troupe du capitaine Zhiwou est revenue ! Ils ont ramené avec eux un gamin de la région et affirment tous être entrés dans une forêt luxuriante. C’est à croire qu’ils ont tous subi la même hallucination !

-Mène moi à lui, ce gamin doit être totalement déboussolé, je suppose que Zhiwou ne leur avait pas donné d’instruction précise et qu’ils en ont profités pour agir comme bon leur semble. Combien a-t-il perdu d’homme par rapport à mon équipe ? reprit le général d’une voix sérieuse et calme bien que ses sourcils laissaient transparaître sa colère

-12 mon général ! Vous avez perdu 4 hommes, ils ont été déchiquetés par un animal d’après les témoins revenus. Celui-ci n’a pas été prit, mais il a dû prendre feu comme tout le reste après que tous soient partis de cette forêt illusoire.

-qui est le gosse repêché ? Un sauvage de la région ?

Ils entrèrent dans la prison du sous sol du château. Jin y était enfermé et semblait commencer à reprendre connaissance. Il ouvrit les yeux, pensa que la pièce devait être très sombre car n’y voyait rien. Un instant il cru que tout n’était qu’un rêve, comme la dernière fois.

-Ygg..ddrasill… encore une illusion… ce n’est qu’un rêve, à mon réveil je serai à nouveau dans la forêt, pensa t’il

-on m’a raconté quelque chose d’étrange à propos de cette forêt : tous ceux qui la quittent ressentent ensuite un sentiment étrange… une sorte de meurtre de conscience en somme, affirma le général avec le regard fixé sur Jin qui réagit à cette phrase.

Il essaya de se relever, mais n’arrivait pas à garder son équilibre, à peine debout il fut prit d’un malaise, son impression d’avoir perdu quelque chose intérieurement revenait, il avait l’impression de ne plus pouvoir respirer tellement cette blessure mentale était violente. Il réalisa enfin : il était bien vivant, dans un lieu rempli d’humain, enfermé, sans aucun doute, et sa famille, son milieu naturel avaient été mis en ruine par ceux-ci. Il trembla, la colère grondait en lui, il ressentait le besoin de tout détruire, de se venger, mais il s’en voulait aussi de n’avoir rien pu faire et que de cette faiblesse tous ceux auxquels il tenait et croyait avaient disparu. Il se recroquevilla, les mains agrippées fermement à sa tête, en proie à une crise de folie. Il revoyait les dernières images de sa sortie de la forêt en boucle dans son esprit, il fallait que cela cesse, immédiatement. Il suffoquait, son angoisse l’écrasait. Oron n’était plus là pour l’apaiser.

- sortez-le d’ici enfin ! Vous ne voyez pas qu’il a besoin de soin ??

La voix semblait grave, un adulte sans aucun doute, quelqu’un de fort. Il entendit la porte de sa cellule s’ouvrir puis des bruits de pas, il retenta de se lever, mais sa psychose l’empêchait de savoir d’où venait précisément le bruit. Il retomba en essayant d’avancer et serra les dents de rage, rancunier envers lui-même d’être incapable de se débrouiller seul. L’homme général le porta pendant tout le trajet, il marcha assez longtemps, en faisant attention à ne pas trop bousculer Jin.

-dis moi gamin, t’as un nom ?, essaya t’il de commencer en dialogue

-…, Jin fit un non de la tête, il était hors de question de donner son nom à un humain, ni dévoiler quoi que ce soit d’autre, surtout à un parfait inconnu, il prit soin de garder ses yeux fermés

-tu… tu ne vois pas ?

-…, Jin refit un non de la tête, même en essayant de parler sa voix refusait de sortir, autrement qu’en souffle de souffrance ou en sanglot étouffé

-mmm attend voir, je pense avoir quelque chose qui pourrait t’aider, il sortit un ruban épais satiné et le passa autour de la tête de Jin de façon à cacher ses yeux, voilà, comme ça tu n’auras pas à te fatiguer à les fermer si ça peut t’arranger, reprit il en souriant

Ils arrivèrent à la maison du général. Sa femme et son fils cadet étaient déjà à table.

-bonsoir ! ho tu nous a rapporté de la compagnie pour ce soir ? demanda sa femme 

-je pense le garder plus longtemps, alors autant s’occuper de lui comme si il faisait parti de la famille. Ce gosse a subit une attaque des soldats aujourd’hui. Il a besoin de repos et de soin, se justifia le général

-cool ! J’ai un nouveau frère ! s’écria le gamin

-pas si fort, il doit se reposer ! Le général rentra dans la chambre et prépara un lit assez vieux qui n’avait pas été utilisé depuis longtemps. Il y installa Jin et reparti lui chercher à manger. Après sa sortie de la pièce, Jin repensa encore à sa vie dans la forêt.

-tu as eu ce que tu souhaitais non ? Tu voulais voir le monde en dehors de la forêt, le voici ! Lui susurra intérieurement à l’oreille Riseldiev d’une voix sarcastique

-non… Ce n’est pas ce que je voulais… répondit Jin en chuchotant

Il passa sa main sur son front, ses stigmates étaient toujours présents, seul lien encore fiable qu’il avait avec Yggddrasill. Il n’avait plus mal maintenant, il n’y avait aucun élu aux alentours. Quelques jours plus tard, Jin était de nouveau sur pied, il commençait à s’habituer à marcher sans voir, il apprenait l’art de la guerre comme les humains, mangeait comme eux mais en très faible dose. Un soir le général lui apprit à fabriquer des potions et poisons avec des plantes.

-incroyable ! Même sans voir tu as un don pour ça ! C’est à croire que vivre dans la forêt renforce le savoir ! s’exclama le général

Jin ne répondait pas, trop concentré à fabriquer un poison, récitant dans sa tête la liste des ingrédients et la façon de mélanger.

-ne bouge pas d’ici, je vais voir si le diner est prêt !

Jin resta seul sur le pat de la porte, déterminé à utiliser le poison. Il avait spécialement choisi de renforcer les doses mortelles pour que la douleur soit longue et que presque aucune plante ne puisse contrer son effet. 

-tu recommences à fuir ? 

La voix recommença à raisonner en lui, il sentit la présence du corps de Riseldiev derrière lui, il l’observait avec un sourire en coin

-je refuse de vivre ici, plus rien ne me retient maintenant

-et que crois-tu que ça changera ? Ta mort n’arrêtera pas le monde de tourner, ils ont vécu sans toi ils pourront continuer de s’en passer, -la voix tournait autour de Jin-, je suis le seul à pouvoir te comprendre…, Riseldiev était maintenant devant lui, si tu veux mourir je t’en empêcherais, tu m’es bien trop précieux

-Yggddrasill saura bien trouver d’autres élus

-imbécile !, la voix se faisait bien plus forte, cette fois ci Riseldiev était enragé, Jin ressentit cette colère et se l’appropria en pensant que c’était dû à son hésitation face au poison. D’un geste brusque il empoigna la fiole et bu son contenu

-je suis le seul à décider de mes actes ! Cette fois ci tu ne changeras pas ma pensée ! S’énerva t’il en pensant

Riseldiev se tut et disparu dans les ténèbres. Le général revint pour le guider à la table et lui proposer du poisson. Jin cacha la fiole et le suivit mais refusa de manger, il commençait à sentir les effets du poison, il avait froid mais était brûlant, avait du mal à respirer, son corps s’engourdît mais il ne mourrait pas. Le maréchal l’emmena rapidement dans la chambre et lui procura les 1ers soins sans efficacité. Jin avait pensé à tout, il ne fallait pas qu’il soit sauvé si facilement. Après quelques heures le poison s’atténua et il ne souffrait presque plus. Avec regret il constata qu’il ne pouvait pas mourir à cause de la marque d’Yggddrasill le liant avec le reste des élus encore vivant.

-malheureusement tu n’es pas le seul à être toi, raisonna la voix au loin dans sa tête avant qu’il ne cède au sommeil.


Fin du Livre 1